Hommage à Günter Brus, dernier représentant de l’actionnisme viennois, décédé à l’âge de 85 ans

[20/02/2024]

Après la mort d’Hermann Nitsch en 2022, Günter Brus, dernier représentant de l’Actionnisme viennois, est décédé le 10 février 2024, au moment où une rétrospective lui était consacrée à l’occasion de ses 85 ans. Roman Grabner, directeur du musée consacré à Günter Brus dans la ville de Graz, en Autriche, et responsable de la rétrospective en cours, explique que l’artiste est “certainement l’un des rares artistes autrichiens à avoir une telle envergure internationale”.

Tout le travail performatif de Günter BRUS est en lien avec les crimes nazis et les répercussions de la Seconde Guerre mondiale. Or, pour dénoncer, pour faire à la fois œuvre de mémoire et de catharsis face aux évènements les plus tragiques et atroces de l’histoire de l’humanité, il lui est apparu comme nécessaire de frapper fort, d’engager tout son être et son corps avec la plus grande radicalité. Les happenings de Günter Brus, comme ceux des trois autres actionnistes viennois Otto Muehl, Hermann Nitsch et Rudolf Schwarzkogler, sont des électrochocs qui scandalisent profondément le public des années 60’.

Un parcours hors normes

Sa naissance en 1938 correspond à l’Anschluss, étape majeure du projet d’Adolf Hitler d’un Reich regroupant les pays et territoires germanophones. Les événements de 1938 marquent le point culminant des pressions de l’Allemagne et des nazis autrichiens pour rassembler les deux populations au sein d’une même nation. Première victime du nazisme, l’Autriche cesse d’être indépendante jusqu’en 1945.

Brus s’installe à Vienne en 1957 où il étudie à l’Université des arts appliqués (Akademie für angewandte Kunst) qu’il quitte avant de valider son examen final. Rapidement, il s’exerce à l’art informel et développe une peinture gestuelle, façonnée entre autres par une fascination pour la musique qu’il développe aux côtés des musiciens expérimentaux de l’École de Vienne. L’une des toiles de cette époque – Dispersion sans titre (Untitled, 1961, image ci-contre) – détient le prix record de l’artiste à 912 000$, bien que les enchères pour cette œuvre aient débuté à 91 000$.

L’appartenance de l’artiste à l’actionnisme viennois (Aktionismus group ou Wiener Aktionismus) débute officiellement en 1962, avec Otto Muehl, Hermann Nitsch et Rudolf Schwarzkogler. Les actionnistes sont tous des enfants de la guerre qui ne supportent pas les mensonges et les crimes non jugés, dissimulés sous l’apparat de la société autrichienne.

À partir de 1964, Brus réalisent des Autopeintures (ou Peintures sur soi). Son corps devient la surface à peindre. Ses premières performances (Actions) ont lieu sans public, seulement avec quelques amis pour témoins, mais elles sont bien documentées (croquis, plans…), filmées et photographiées. Rien n’est laissé au hasard derrière le chaos appartement de l’action. Les photos issues de ses performances de 1964 sont les plus recherchées et les mieux valorisées sur le marché de l’art. En juin 2023, l’une d’entre elles (Selbstbemalung II, 1964, 35 exemplaires) a établi un record pour une photographie de l’artiste en dépassant les 33 000$.

 

Dans le prolongement de ces performances en appartement, Brus s’expose dans la rue entièrement peint en blanc avec une ligne noire séparant son corps en deux : c’est l’époque de la Promenade viennoise dans les endroits symboliques de la capitale autrichienne. En investissant l’espace public, il se fait arrêter et verbaliser par un officier de police. Prévue d’avance, cette réaction des forces de l’ordre fait partie de la performance. Quatre ans plus tard, la tournure des Actions devient beaucoup plus radicale. Une rupture s’opère : il ne s’agit plus de peindre son corps mais d’en utiliser les substances : sang, sang, urine, excréments, salive, transpiration et larmes, dans des performances transgressives et obscènes.

 

“Mes entrées en scène visaient une sauvagerie du moi purifié des toxines de la civilisation” (G. Brus, propos recueillis par Catherine Grenier, 1993)

 

Lors de l’action collective Kunst und Revolution (Art et Révolution, 1968), Günter Brus boit son urine, recouvre son corps de ses excréments et se masturbe en chantant l’hymne national autrichien. La performance lui vaut une condamnation à six mois de prison pour outrage aux symboles de l’Etat et violation de la morale publique, peine à laquelle il échappe en prenant la fuite pour Berlin (1969), avec sa femme Anna et leur petite fille. L’État autrichien ne lui pardonnera officiellement qu’en 1976, transmuant sa peine de prison en amende.

Sa dernière performance a lieu à Munich en 1970. Il se lacère alors la peau à coups de lame de rasoir. Quelques photographies témoignant des dernières Actions de 1970 passent parfois aux enchères. La dernière en date – Supplice (Zerreissprobe (Aktionsraum 1, 19 giugno 1970)) – est un témoignage qui n’a couté que 1 078$ à son acquéreur en décembre dernier (vente Studio d’arte Martini, Brescia, Italie). Par la suite, il se consacre au dessin (accessibles pour moins de 10 000$ aux enchères) et à la peinture qu’il combine parfois en tableaux-poèmes, mais aussi à la gravure, tout en développant une œuvre littéraire peu consensuelle.

Günter Brus restera parmi ces artistes créateurs de nouvelles formes d’art. Il incarne une force subversive, notamment face à l’art muséal, pour repenser la position de l’art dans la société. 

Günter Brus : répartition géographique du produit des ventes aux enchères (copyright Artrice.com)